BORGONIO 1682. Theatrum Sabaudiae Carte du Duché de Savoie
- L’île et le territoire
- Voyager aux temps des Lumières : Tourisme et ethnographie
- Du récit de voyage aux guides touristiques
1. L’île et le territoire. La notion de territoire peut se définir comme l’appropriation anthropique d’un espace géographique. Elle peut être concrète, intellectuelle, visuelle ou juridique. La définition d’un territoire s’accompagne ainsi de la délimitation de ses frontières. L’île représente de ce point de vue le cas de figure d’un espace dont les délimitations géographiques semblent évidentes. Mais si la cartographie offre une illustration exemplaire en matière de description d’un territoire, celui-ci ne relève pas uniquement de la géographie concrète dont elle rend compte. Le monde extérieur est en fait omniprésent sur le littoral insulaire au travers de ses ports. La représentation du territoire insulaire relève aussi de la cosmographie et de l’imaginaire. Il oscille ainsi entre deux pôles, l’intimité protectrice de sa clôture et le mouvement d’expansion qui l’ouvre sur le monde environnant. Les difficultés à enraciner les îles dans la mer font penser à d’autres difficultés d’enracinement, comme celles des communautés dans leurs traditions et les « résurgences » ethniques qui les accompagnent. Elles laissent aussi transparaître ces mêmes légions de revenants, exilés ou abandonnés aux flots, qui hantent l’imaginaire collectif, Maures, Juifs et Pestiférés. En réponse on « ilote » encore et toujours, mais à présent dans le cadre de stratégies urbaines.
Marco Polo Livre des merveilles (XVs) Griffons de Madagascar Chap. 186
2. Voyager aux temps des Lumières. Attestant de la prégnance des conventions du commerce et du pèlerinage, qui ont jusqu’alors présidées aux pratiques du voyage, les récits des voyageurs sont dominés pendant longtemps par l’itinéraire et sa description. La société médiévale conçoit en effet la vie humaine comme une quête mystique de la « Jérusalem céleste », dont les pratiques du pèlerinage se doivent d’offrir une illustration privilégiée. A la recherche d’une patrie perdue, les pèlerins sont par nature étrangers aux préoccupations d’exotisme ou d’exploration qui animeront bientôt les voyageurs. Le peu d’intérêt qu’ils portent aux pays traversés ressort de la pauvreté de leurs récits, limités à la simple description des itinéraires. Ils ne mentionnent jamais les territoires qui séparent les étapes de leurs périples. Seules les villes où ils doivent séjourner retiennent leur attention. Véritable terra incognita la campagne n’est que synonyme de danger, de distance ou d’inconfort des routes et des chemins. Cette ignorance délibérée ne fait que traduire la dichotomie, opposant la ville et la forêt, qui structure les représentations médiévales du territoire. Le rejet du légendaire merveilleux est à l’origine, à partir de la Renaissance, d’un discours de voyage véritablement autonome. Il faut toutefois attendre le XVIII° siècle, pour que le récit de voyage affirme réellement son originalité. Ces évolutions doivent beaucoup à l’impact des préoccupations philosophiques, politiques, ethnologiques, économiques et sociales de la Philosophie des Lumières, qui va conduire les voyageurs à sortir des sentiers battus du pèlerinage antiquisant. En tant que loisir mondain, en apparence inoffensif et futile, le tourisme offre ainsi un champ informel et marginal largement ouvert à des réflexions novatrices. Il va rapidement s’affirmer comme un espace de liberté particulièrement propice à l’expression de nouvelles thématiques. Les récits de voyage précèdent en cela la littérature sociologique et ethnographique qui verra le jour au siècle suivant.
3. Du récit de voyage aux guides touristiques. Le genre littéraire des récits de voyages connait de grands développements à la fin du XIXe siècle avec l’essor du tourisme. Le récit de voyage intimiste va rapidement donner lieu à un nouveau genre, le Guide touristique. Les ancêtres des guides touristiques étaient des ouvrages destinés aux pèlerins voyageant vers Saint Jacques de Compostelle ou vers Rome. On trouve alors Le Guide des chemins de France de Charles Estienne (1552) puis au siècle suivant Le Voyage en France (1643) et de nombreux autres ouvrages dont les caractéristiques sont similaires, leur maniabilité et leur encyclopédisme. Les premiers guides touristiques voient le jour au tournant du XIXe siècle. On recense pour la France près de 2000 publications de cette nature entre 1800 et 1850. On peut citer (entre autres) le guide Reichard (1784), le Guide Richard (1820), Le Nouvel Itinéraire portatif de France (1826), le guide Rheinreise (1828), les guides Murray (1836), le Guide Joanne (1841) futur Guide bleu, le guide pittoresque, portatif et complet du voyageur en France de Girault de Saint Fargeau (1842), le Guide Baedeker (1843), etc. Avec leurs notices artistiques et leurs renseignements pratiques, ils se présentent sous la forme d’une synthèse entre le récit de voyage intimiste, généralement rédigé sous forme de courrier, l’indicateur des routes destiné aux commerçants et les préoccupations nouvelles de la villégiature touristique naissante. Ils comportent généralement des rubriques géographiques (géologie, hydrologie, faune, flore et climat), économiques (cultures, élevage, commerces et industries), historiques et archéologiques ou encore ethnographiques et patrimoniales. Ces guides présentent bien des similitudes avec les développements contemporains du folklore et de l’ethnographie. L’irruption des touristes sur les terrains d’études de l’ethnologie allait mettre en cause par la suite les fondements de la discipline, lesquels reposaient sur l’étude des communautés locales sous le seul angle de leurs dynamiques internes.