André Leroy Gourhan et le domaine des arts et traditions populaires
- L’ethnographie européenne et les premières collections muséales
- L’approche anthropologique de l’histoire des techniques
- Repères bibliographiques
1.L’ethnographie européenne et les premières collections muséales
Ethnographie et ethnologie. Ce qu’on qualifie d’art populaire s’applique à deux ensembles différents : soit les objets de la vie quotidienne fabriqués artisanalement par les classes populaires des sociétés occidentales, soit les productions matérielles de groupes ethniques appartenant à des sociétés non industrielles. Cette distinction, plus idéologique que scientifique, se maintient en raison de la diversité des structures de recherche. L’intérêt pour les objets sculptés, la broderie, l’orfèvrerie, le tissage, la vannerie, etc., des époques passées remonte au romantisme. Les rassemblements systématiques de ces objets s’organisèrent à la fin du 19ème siècle sur le modèle du musée Skansen en Suède (1891) ; le premier congrès international des arts populaires eut lieu à Prague en 1928. Ces manifestations d’intérêt étaient concomitantes avec un effacement de l’art populaire en Occident. Lien
Naissance des collections muséales. Les folkloristes de la fin du 19ème siècle ont diversifié les collectes à destination des musées : Saintyves réunit des almanachs et des calendriers, Bonnemère les porte-bonheur des joueurs, Sébillot les jouets et les ustensiles, d’autres les faïences consacrées à sainte Barbe et à sainte Anne… Naît alors un véritable engouement : on collecte sans discernement, sans toujours connaître la provenance des objets ni leur usage. Rivière, en créant le musée des Arts et Traditions populaires, les fait recueillir de manière plus rigoureuse, complète les séries. Mais ce n’est qu’à partir des années 1970 qu’on protège l’architecture rurale : des maisons typiques sont restaurées, ou regroupées dans les écomusées. En ville, à mesure que disparaissent certaines activités, on en sauvegarde le matériel : ateliers d’artisans, art forain (orgues, manèges), marionnettes, jeux de café. Le musée achète aussi des collections particulières, telle celle de Chanlot sur les tissages de cheveux, art décoratif très développé entre la fin du 18ème siècle et le milieu du 19ème siècle. Lien
Le domaine des arts et traditions populaires. Costume et coutumes. C’est le costume qui a d’abord été considéré comme le signe distinctif des traditions régionales : il constitue un des intérêts de l’Académie celtique, puis des voyageurs – tel le baron Taylor qui publie avec Charles Nodier des Voyages pittoresques et romantiques de l’ancienne France (1820-1863) –, et donne lieu aux premières collections présentées dans les musées (à Quimper en 1874). Objets domestiques et artisanat. Les productions populaires ont deux sources distinctes : la fabrication domestique et le savoir-faire détenu par des artisans. Proverbes et adages. L’intérêt porté aux littératures orales dès la fin du xviiie s. inclut l’antique tradition des proverbes : l’abbé Grégoire les relève pendant l’enquête qu’il mène sur les patois, puis l’Académie celtique les intègre à son questionnaire et les préfets en publient certains dans leurs annuaires départementaux. Chants, danses et musiques. Tout en collectant chants et musiques qui accompagnent les danses des diverses provinces, les folkloristes du xixe s. se mettent à noter leurs caractéristiques. À cette époque, les danses populaires constituent uniquement le répertoire des milieux ruraux. Lien
2. L’approche anthropologique de l’histoire des techniques
De la muséologie à la technologie. André Leroi-Gourhan (1912-1986) est un ethnologue et préhistorien français. Il fait ses études à l’École des langues orientales où il étudie le russe et le chinois et à l’École pratique des hautes études où il suit les cours d’un spécialiste de l’extrême orient, Marcel Granet. Il participe alors à la transformation du Musée d’ethnographie du Trocadéro en Musée de l’Homme. En 1936 il publie la Civilisation du renne puis séjourne au Japon de 1937 à 1939 grâce à une bourse d’ethnologie. A son retour en France, il est nommé au musée Guimet et au musée Cernuschi, les deux principaux musées asiatiques français. A la fin de la guerre, il devient maître de conférences en ethnologie coloniale à l’université de Lyon, dans la nouvelle chaire créée par le ministère des colonies. C’est là qu’il va développer un enseignement de technologie comparée à partir de l’étude des collections d’objets ethnographiques.
Les principes de l’anthropologie des techniques. L’apport majeur de Leroi-Gourhan consiste dans l’élaboration d’une anthropologie des techniques. Elle repose principalement sur les concepts de tendances, de faits et de milieu technique, et de milieu favorable à l’invention et à l’emprunt, ainsi que sur la théorisation de cadres méthodologiques d’analyse de la chaîne opératoire et d’une typologie globale de l’action technique. Ses œuvres majeures sont L’Homme et la matière, suivie de Milieu et techniques et de Le Geste et la parole. En 1956, Leroi-Gourhan succède à Marcel Griaule et occupe son poste jusqu’en 1969, où il est élu à la chaire de préhistoire au Collège de France.
Ethnographie rurale et sociologie. Les folkloristes avaient produit une image idyllique et nostalgique d’un monde rural en totale déconnexion avec les mutations de la société industrielle. L’élaboration d’une anthropologie des techniques allait permettre d’ouvrir l’ethnographie au monde contemporain. André Leroi-Gourhan a notamment exercé une influence dans le domaine de la sociologie du travail, avec par exemple l’analyse pluridisciplinaire des situations de travail d’Yves Schwartz et la «clinique de l’activité» initiée par son élève Yves Clot, ou encore le renouveau des théories de l’action et de la philosophie des techniques. Parallèlement les musées dits des Arts et Traditions Populaires (ATP) allaient connaître de grands développements sur l’ensemble du territoire français. L’anthropologie des techniques leur permettra plus particulièrement de repenser l’approche originelle des folkloristes.
Inventaire des musées des Arts et Traditions Populaires (ATP) : https://www.museemusee.com/les-musees-de-france-par-thematique/tradition-populaire–38.html
Lien vers la biographie d’André Leroi-Gourhan : https://francearchives.gouv.fr/fr/pages_histoire/39831
3. Repères bibliographiques
LEROI-GOURHAN André 1945. Milieu et techniques. Albin Michel. Extrait. À travers l’analyse des techniques de la chasse et de l’agriculture, de la cuisine et de l’habitation, le grand préhistorien et ethnologue que fut André Leroi-Gourhan nous livre sa compréhension de l’univers techno-économique. «La technologie doit d’abord être vécue, pensée ensuite si le besoin s’en fait sentir (…). Il est bon d’avoir récolté un sac de pommes de terre avec un bâton pointu avant d’envisager la description des outils agricoles, et rien ne fait mieux désirer la découverte des métaux qu’un arbre abattu et débité avec une hache de silex.» Fidèle à ce conseil, l’auteur du Geste et la Parole éclaire ici tous les pans de la vie en société et fait prendre conscience de l’industrieuse alliance entre la main et le milieu. Lien
BOELL et alii 2009. Du folklore à l’ethnologie. Dirigé par Denis-Michel Boëll, Jacqueline Christophe, Régis Meyran. Extrait. Le passage des études de folklore à l’ethnologie en France s’est fait dans la période troublée qui va du Front populaire à la Libération. Le folklore scientifique se construit de manière ambivalente, dans le cadre d’une politique culturelle qui fait la part belle aux traditions régionales à la fois ouverte sur la modernité, et fascinée par un passé volontiers idéalisé. Avec l’avènement du régime de Vichy, le folklore devient l’instrument de la politique culturelle du maréchal Pétain et de sa Révolution nationale. Mais, en même temps, de vastes enquêtes scientifiques, extensives et collectives voient le jour. Cet ouvrage, apporte une réponse collective à des questions restées longtemps floues, voire taboues : comment apprécier les activités du MNATP, créé en 1937, et celles de son directeur, Georges Henri Rivière, sous le régime de Vichy ? Quelles continuités, quelles ruptures apparaissent entre la période du Front populaire et Vichy ? Une nouvelle discipline était-elle déjà en germe ou le folklorisme sombrait-il totalement dans l’exaltation passéiste du monde paysan ? Ce regard en arrière s’avère nécessaire à l’heure où l’ethnologie s’affranchit des barrières nationales – et alors qu’un nouveau musée, le musée des Civilisations de l’Europe et de la Méditerranée (MuCEM), vient remplacer le MNATP. Lien
SEGALEN Martine 2019. «Le Musée national des arts et traditions populaires, 1936-2005. Récit d’un brillant fiasco. Première partie : Une si longue naissance (1880-1980)», in Bérose – Encyclopédie internationale des histoires de l’anthropologie, Paris. Extrait. 1880-1940 : Aux origines du musée. L’histoire du Musée national des arts et traditions populaires (MNATP) est intimement liée à celle des rapports ambigus et complexes entre d’une part l’ethnologie de l’Autre – nommée à partir des années 1970 anthropologie sociale – et d’autre part, le folklore, une ethnologie du soi, une ethnologie française. Les voyageurs, explorateurs, administrateurs coloniaux comme les érudits locaux qu’on nommait folkloristes rapportaient des témoignages matériels des groupes qu’ils étudiaient. À la fin du XIXe siècle, science et connaissance de ces cultures et sociétés qui paraissaient différentes, exotiques, populaires, se sont développées de concert, les peuples colonisés étant les Autres extérieurs, les paysans les Autres intérieurs. Si l’ethnologie étudiait les sauvages et les primitifs, le folklore se disait la science du peuple. Lien