Territoire, toponymie et géographie : Henri Dontenville et la société française de mythologie.
- Henri Dontenville et la société française de mythologie
- Les sociétés savantes et le maillage du territoire
- Terroir, territoire et aires culturelles
- Repères bibliographiques
1. Henri Dontenville (1888-1981) et la société française de mythologie
La capacité de l’homme à représenter l’espace semble relever d’un invariant culturel d’une grande universalité. Les premières représentations spatiales pourraient ainsi relever du marquage du territoire dont attestent les sociétés néolithiques. Elles sont clairement documentées par la suite avec les cartographies des itinéraires maritimes et la toponymie, puis plus tard avec les représentations paysagères de la Renaissance. L’image concentrique d’un cosmos centré autour du corps humain, de sa maison et de son terroir demeure encore prégnante de nos jours. Mais au-delà de ces frontières, un monde inconnu et inquiétant subsiste. Il est l’objet des recherches qualifiées de géographie mythique initiées au 20ème siècle dans la continuité des études des traditions populaires conduites au siècle précédent par les sociétés savantes. La Société française de Mythologie, une société savante qui a pour vocation d’inventorier, d’étudier et de promouvoir le patrimoine légendaire français sous toutes ses formes, est fondée en 1950 par Henri Dontenville. Adepte de la théorie folkloriste des survivances, Dontenville est aussi un mythographe. Nommé en 1925 inspecteur d’Académie, il va s’intéresser aux traditions populaires que lui transmettent les instituteurs et leurs élèves au cours de ses tournées d’inspection. Dans son ouvrage central de 1947, intitulé Mythologie française, le moyen âge est particulièrement présent, avec Arthur et Mélusine, Morgane ou encore les Quatre Fils Aymon. Dontenville remonte toutefois bien plus loin que le moyen-âge et même l’époque gallo-romaine. Gargantua, Mélusine et les frères Aymon ne seraient pas selon lui les survivances des dieux romains mais remonteraient à la préhistoire. Une très ancienne géographie mythique serait ainsi inscrite dans le territoire, dans la pierre, les sources, les arbres centenaires, les montagnes ainsi que dans la toponymie. Cet intérêt porté à l’espace vécu préfigure l’apparition du mouvement des écomusées.
2. Les sociétés savantes et le maillage du territoire
Les sociétés savantes voient le jour au XVIIIe siècle, parallèlement à la naissance des académies provinciales sur le modèle des salons littéraires parisiens et des cabinets de curiosités. Elles disparaissent provisoirement avec la révolution puis se développent sur l’ensemble du territoire au 19ème siècle. Composées généralement de notables et d’érudits locaux, elles vont jouer un rôle important dans la diffusion des connaissances scientifiques, notamment en matière de collecte et de valorisation de savoirs et savoir-faire locaux et régionaux de plus en plus diversifiés. Les sociétés savantes se souvent attachées dans ce domaine à l’étude du patrimoine culturel régional en particulier archéologique, sous le nom de sociétés d’antiquaires, mais aussi botanique, zoologique, paléontologique, linguistique et folklorique. Ce maillage du territoire s’inscrit dans le contexte de la construction de l’identité nationale et de son articulation avec les particularismes locaux et régionaux. Fondée en 1834, la Société de l’histoire de France a ainsi pour objet de «populariser l’étude et le goût de l’histoire nationale». Plusieurs comités seront rattachés ensuite à ce qui donnera naissance en 1881 au Comité des travaux historiques et scientifiques. Le CTHS sera en charge d’établir l’annuaire des sociétés savantes de France, de coordonner leurs travaux et de soutenir leur développement. En 1883, le CTHS est divisé en cinq sections : histoire et philologie ; archéologie ; sciences économiques et sociales ; sciences mathématiques, physiques, chimie et météorologie ; sciences naturelles et sciences géographiques.
3. Terroir et territoire / Espace vécu et espace perçu
Chargée d’histoire et de symboles, la notion française contemporaine de terroir se confond dans les autres langues avec le terme de territoire. Le lexique agraire de la commission de géographie rurale définit ainsi le terroir comme « un territoire présentant certains caractères qui le distinguent au point de vue agronomique de ses voisins » (1968). Le Dictionnaire Larousse (2013) donne deux définitions du terroir. La première est elle aussi agronomique : «Ensemble des terres d’une région, considérées du point de vue de leurs aptitudes agricoles et fournissant un ou plusieurs produits caractéristiques». La seconde possède par contre une dimension anthropologique: «Province, campagne considérées comme le refuge d’habitudes, de goûts typiquement ruraux ou régionaux». Ces définitions rejoignent en fait celle des aires culturelles communes à l’anthropologie et à la géographie. Le concept d’aires culturelles aurait vu le jour à la fin du XIXe siècle pour organiser des expositions à caractère ethnographique. Il repose sur la présence sur un même territoire d’un ou plusieurs traits culturels, tels que la langue, la religion ou un système de subsistance. L’ethnologie allait par la suite développer une approche opposant espace vécu et espace perçu. Reposant sur une approche phénoménologique de la géographie, l’espace vécu désigne le domaine de la représentation des pratiques quotidiennes (l’espace de vie) et celui des relations sociales (l’espace social). Le philosophe Henri Lefebvre allait définir de son côté le concept de triplicité mettant en relation espace conçu, espace vécu et espace perçu. Ces approches ont en commun de définir un espace multidimensionnel que chaque acteur, individuel ou collectif, va investir par sa propre expérience et ses propres compétences. Ces évolutions ont accompagné une vaste entreprise de muséalisation du territoire qui a débouché récemment sur la naissance des écomusées.
4. Repères bibliographiques
CHALINE 2002. Les sociétés savantes en Allemagne, Italie et Royaume-Uni à la fin du XIXe siècle. Histoire, économie & société Année 2002 21-1 pp. 87-96. Extrait. Phénomène culturel par trop négligé, les sociétés savantes étaient au nombre de plusieurs milliers en Europe vers 1900, et l’effectif de leurs membres dépassait largement le demi-million. La présente étude, après un rappel de leur histoire, de leurs activités et de leur recrutement, s’attache à montrer, d’après un annuaire international de ces sociétés en 1903, quelle était leur répartition à travers les villes d’Italie, d’Allemagne et du Royaume-Uni, et quel était leur champ disciplinaire dans chacun de ces trois pays. Lien: https://doi.org/10.3406/hes.2002.2266
EHRHARDT Damien 2013. Quelques réflexions sur les notions d’aires et d’espaces culturels dans les régions anglophones, francophones et germanophones. Extrait. Afin de comprendre le cheminement historique de notions comme «aires» ou «espace culturels», il convient de prendre en considération les concepts-clé de culture et de civilisation, dont la sphère varie en fonction des langues utilisées, mais aussi d’autres notions comme celles de Kulturkreis, de cultural landscape, de Kulturraum, d’ethnoscape ou de third space, qui se sont développées à différentes époques et dans plusieurs aires culturelles. Lien : https://trac.hypotheses.org/files/2014/01/Ehrhardt-Texte-expos%C3%A9-Aires-culturelles.pdf
FREMONT Andre 1974. Recherches sur l’espace vécu. Extrait. L’espace, la région, les lieux ne peuvent plus être considérés uniquement comme des réalités objectives. La région est aussi, elle est peut-être même essentiellement, une réalité vécue. Depuis plusieurs années, quelques sciences sociales géographes français ont commencé l’exploration théorique et expérimentale de cette nouvelle approche de la région. Les sciences humaines (ethnologie, sociologie, psychologie, textologie …) apportent une contribution essentielle à ce débat. Les géographes ne doivent pas l’ignorer. Mais il leur faut aussi trouver leur propre originalité dans ces nouvelles perspectives. Cette recherche, enfin, implique un certain engagement dans la redéfinition des rapports de la connaissance et de la société. Lien: https://www.persee.fr/doc/spgeo_0046-2497_1974_num_3_3_1491
PREVOST et alii 2014. Le terroir, un concept pour l’action dans le développement des territoires. Extrait. Entre les usages professionnels et sociaux du mot terroir et les significations correspondantes, une grande diversité de représentations mentales du mot engendre une difficulté à le mobiliser chez les chercheurs et les formateurs. L’analyse transdisciplinaire proposée dans ce texte vise à mieux cerner sa compréhension et à identifier le potentiel de ce concept pour la recherche, le développement et la formation. Le concept de terroir a ainsi été caractérisé par une multiréférentialitée : d’une part un objet représentant un système productif et culturel local, d’autre part un projet d’une communauté dont les finalités et la dynamique sont empreints de subjectivité. Cette multiréférentialité donne au concept de terroir un potentiel pour (i) la médiation dans des projets de développement des territoires ruraux, et (ii) la formation interdisciplinaire des agronomes. Lien : https://journals.openedition.org/vertigo/14807
Lien vers les écomusées en France. « Les écomusées ont pour but de préserver ou de reconstituer sur les lieux mêmes des bâtiments, des types d’activités dont le passage du temps nous a coupés depuis un ou deux siècles, parfois à peine quelques décennies » Claude Lévi-Strauss, Territoires de la mémoire (1992). Lien : https://www.museemusee.com/les-musees-de-france-par-thematique/tradition-populaire–38.html