Géographie et ethnologie : Cartographes et voyageurs
En 1834, le physicien André-Marie Ampère rédige un « Essai sur la philosophie des sciences » où il suggère de fédérer l’ethnographie et la géographie en les subordonnant à une science d’un ordre supérieur, l’ethnologie.
- Géographie et ethnographie
- Tourisme et voyageurs
- Repères bibliographiques
1. Géographie et ethnographie
La géographie et l’ethnographie trouvent leurs origines communes dans l’antiquité, avec les descriptions bien connues de Strabon et de Pausanias. Ces descriptions s’enrichissent au moyen-âge avec, par exemple, les récits de voyages d’Ibn Khaldoun pour le monde arabe ou ceux de Marco Polo et de Cortés lors des grands voyages d’exploration. A cette époque, la cartographie vient par ailleurs remplacer la seule description des itinéraires terrestres ou maritimes par une vision plus globale du territoire. C’est aussi l’époque où apparaissent les premières représentations paysagères. Ces avancées vont donner naissance à de vastes descriptions de l’Europe, comme le Theatrum Sabaudiae ou les Voyages Statistiques de l’époque napoléonienne. Les relations entre ethnologie et géographie demeurent cependant étroites. La distinction entre ces disciplines atteste des avancées des sciences de l’homme qui voient le jour au XXe siècle avec la géographie humaine et la sociologie durkheimienne.
2. Tourisme et voyageurs
Le genre littéraire des récits de voyages connait lui aussi de grands développements au XXe siècle avec l’essor du tourisme. Le récit de voyage intimiste va rapidement donner lieu à un nouveau genre, le Guide touristique. Les ancêtres des guides touristiques étaient des ouvrages destinés aux pèlerins voyageant vers Saint Jacques de Compostelle ou Rome. On trouve par exemple (en 1552) Le Guide des chemins de France de Charles Estienne ou au siècle suivant Le Voyage en France (1643) et de nombreux autres ouvrages dont les caractéristiques sont similaires, leur maniabilité et leur encyclopédisme. Les premiers guides touristiques voient le jour au tournant du XIXe siècle. On recense pour la France près de 2000 publications de cette nature entre 1800 et 1850. Ces guides présentent bien des similitudes avec les développements contemporains du folklore et de l’ethnographie. L’irruption des touristes sur les terrains d’études de l’ethnologie allait remettre en cause par la suite les fondements de la discipline, lesquels reposaient sur l’étude des communautés locales sous le seul angle de leurs dynamiques internes.
3. Repères bibliographiques
En matière de guides touristiques, on peut citer (entre autres) le guide Reichard (1784), le Guide Richard (1820), Le Nouvel Itinéraire portatif de France (1826), le guide Rheinreise (1828), les guides Murray (1836), le Guide Joanne (1841) futur Guide bleu, le guide pittoresque, portatif et complet du voyageur en France de Girault de Saint Fargeau (1842), le Guide Baedeker (1843), etc. Avec leurs notices artistiques et leurs renseignements pratiques, ils se présentent sous la forme d’une synthèse entre le récit de voyage intimiste, généralement rédigé sous forme de courrier, l’indicateur des routes destiné aux commerçants et les préoccupations nouvelles de la villégiature touristique naissante. Ils comportent généralement des rubriques géographiques (géologie, hydrologie, faune, flore et climat), économiques (cultures, élevage, commerces et industries), historiques et archéologiques ou encore ethnographiques et patrimoniales.
DESPLAND Michel 1997. Des sciences aux Sciences religieuses. Le programme d’André-Marie Ampère (1834-1843). In: Revue d’histoire et de philosophie religieuses, 77e année n°1, Janvier-mars 1997. pp. 67-79. Extraits. Le physicien André-Marie Ampère écrivit un Essai sur la philosophie des sciences (2 vols, 1834 et 1843), qui, en plus d’offrir un système de classification des sciences, donne un projet de «sciences religieuses» qui suivraient les méthodes des sciences «noologiques», c’est-à-dire des sciences de l’homme. Ce projet est examiné et situé dans le contexte des réflexions qu’avançaient alors les théologiens sur les sciences en général. Lien
BLANCKAERT Claude 2004. Géographie et anthropologie. Une rencontre nécessaire (XVIIIe-XIXe siècle). Ethnologie française 2004/4 (Vol. 34), pages 661 à 669. Extraits. La géographie et l’anthropologie ont longtemps semblé des sciences «jumelles» et, dans la pratique, interchangeables. Une longue tradition de travaux communs rapprochait les deux spécialités. Leurs points communs, en apparence, sont bornés par l’objet. L’une étudie l’habitat, l’autre l’habitant. (Cf la formule célèbre de Vidal de La Blache, selon quoi «la géographie est la science des lieux et non celle des hommes»). La géographie était minimisée comme un simple instrument du diplomate, du chef militaire ou de l’érudit. Elle est dorénavant appelée à donner les raisons nécessaires, topographiques, climatiques, du genre de vie, des voies de communication et de l’économie des peuples. Dans l’héritage des Lumières, les voyageurs ont procédé à un savant arpentage des mondes lointains ou proches. Ce serait ici le cas de réclamer, pour le siècle du positivisme, ce qui fut dit du moment des Lumières, qu’il a «encore une conception totale de l’homme» et que, en conséquence, «on continue à englober sous le terme imprécis de “philosophie” ce qui forme aujourd’hui la matière de huit à dix “sciences humaines” : ethnologie, sociologie, économie, géographie…». Lien
SION Jules 1937. Géographie et ethnologie. Annales de géographie Année 1937 263 pp. 449-464. Extraits. Une douzaine de spécialistes ont travaillé sous la direction du Pr Paul Rivet, assisté de Mr P. Lester. Ce beau volume s’ouvre par 10 pages de Mr Lucien Febvre, qui dégage l’esprit général de l’œuvre et dit pourquoi il a réuni ethnologues, sociologues, statisticiens, en une collaboration insolite, mais féconde. L’ethnologie est en effet une science de solidarités, évidentes entre la langue et la civilisation, plus voilées, mais indéniables, entre ces faits et les races humaines. L’anthropologie stricto sensu, qui étudie les traits somatiques des hommes fossiles et actuels, l’ethnographie et la linguistique doivent s’aider constamment; elles feront appel à bien des sciences connexes, géographie, histoire, botanique, pathologie comparée, etc. Cette introduction multiplie les renseignements sur les moyens actuels de l’ethnologie : centres d’études, missions récentes, publications, «Musée de l’homme» qui va réunir, sur l’emplacement de l’ancien Trocadéro, collections d’ethnographie et d’anthropologie. La comparaison, souvent, se fait d’elle-même avec la géographie, qui est aussi une «science des ensembles». II n’est pas indifférent aux géographes de savoir s’il y a des groupes humains héréditairement mieux doués pour maîtriser la nature ni, en ce cas, s’ils doivent leur supériorité à la pureté de leur sang. Les affirmations du racisme et les conséquences qu’il en tire présentent un tel danger, voire pour la science, que l’on comprend pleinement l’acharnement des ethnologues français à le combattre, même si l’on pense que c’est faire trop d’honneur à des thèses d’une insigne débilité. La notion de « race supérieure » est parmi celles dont on a fait l’abus le plus funeste à l’humanité. Neuville se donne la peine de nous dire que les civilisations de l’Extrême-Orient soutiennent la comparaison avec les nôtres et, plus utilement, qu’ «une supériorité dans un sens est presque fatalement une infériorité dans un autre». Nos citadins n’ont pas l’acuité sensorielle du Nègre ni son remarquable sens du rythme. Aucun raciste ne nous convaincra que, si les Nordiques ont d’admirables qualités, celles des Méditerranéens ne furent pas aussi précieuses. .Un géographe est peu porté à croire que tout métissage entraîne des produits inférieurs aux deux éléments rapprochés, et stériles au bout de quelques générations. Le racisme oublie que l’exploration et la mise en valeur d’immenses espaces n’auraient pas été possibles sans des peuples de métis: d’Indiens et de Français au Canada subarctique, d’Indiens et de Portugais au Brésil et, dans tout le Nord de l’Asie, de Finnois, Tatars, Mongols croisés de Slaves. Les Russes sont fortement mêlés, et pourtant c’est un peuple vigoureux en pleine expansion, le seul dont on puisse attendre quelque fusion entre races blanche et jaune. Lien
POIRIER Jean 1948. La Revue de Géographie humaine et d’Ethnologie [compte-rendu]. Journal de la Société des Océanistes Année 1948 4 pp. 183-18. Extraits. Pour la première fois en France, une revue paraît sous le double signe de la recherche géographique et ethnologique. M. Deffontaines assure la direction de la partie géographique, M. Leroi-Gourhan celle de la partie ethnologique. Un problème se pose immédiatement : celui de déterminer exactement l’articulation de ces deux disciplines. Leurs domaines se recouvrent partiellement, mais leurs objets diffèrent essentiellement. L’homme est un objet d’études géographiques à double titre: parce qu’en lui-même il est un des éléments essentiels de la surface terrestre (comme les végétaux par exemple) et parce que d’autre part, il exerce une influence considérable sur cette surface, comme les autres agents (le vent, les eaux courantes, par exemple). C’est pour ces raisons qu’il existe une géographie humaine. La Géographie humaine centre donc sa recherche, malgré son nom, sur la Nature; elle est géographique avant d’être humaine. Les parts respectives de la Géographie humaine et de l’Ethnologie peuvent donc se distinguer assez nettement: à la première, l’étude détaillée de l’action de l’homme sur la surface terrestre, à la seconde l’étude détaillée des mouvements de population, des races, des langues et des religions. Enfin, seule question qui pourrait être controversée, c’est à l’ethnologie qu’il faut laisser l’étude détaillée de l’influence de la nature sur l’homme. La géographie enregistrera et décrira les divers genres de vie. L’ethnologie les expliquera scientifiquement et d’ailleurs ne bornera pas aux seuls genres de vie sa recherche de l’influence de la nature sur le complexe humain (biologique, ethnographique et social). L’Anthropologie étudiera les conséquences du climat et de l’acclimatation sur l’organisme, la Raciologie dira quelle est la part du milieu physique (fertilité, etc.) dans la répartition des hommes, l’Ethnographie cherchera l’influence de la nature dans les manifestations matérielles et ses liaisons spirituelles: l’insolation aura telle influence sur l’exposition des maisons et telle légende, telle croyance en sera la conséquence immédiate (mauvais esprits venus du Nord…). Les eaux rares ou abondantes feront l’habitat dispersé ou groupé, le matériau influencera l’habitation. Il est nécessaire que l’Ethnographie sache exactement quelle part revient au milieu, afin de faire la part qui revient à la race ou à l’homme. Lien
APCHAIN Thomas, 2021. L’anthropologue, l’ethnographe et le touriste. Problématiques et enjeux de l’anthropologie du tourisme. À propos de Naomi M. Leite et al. (dir.), The Ethnography of Tourism: Edward Bruner and Beyond, 2019. Extraits : Bruner appartient autant à l’histoire de l’analyse du tourisme qu’à celle de l’anthropologie américaine en général. Ceci constitue une exception. En tant qu’objet d’étude pour l’anthropologie, le tourisme demeure un domaine qui, s’il n’est plus tout à fait considéré comme impropre, doit constamment démontrer sa légitimité. C’est pourquoi la figure de Bruner est aussi importante, parce qu’il a fait du tourisme l’objet de ses recherches après avoir mené une carrière «traditionnelle» et s’être imposé comme une autorité dans l’anthropologie étasunienne, parce qu’il a inscrit son anthropologie du tourisme dans la continuité des thèmes anthropologiques qu’il avait développés auparavant, et parce qu’il a fait des situations touristiques le terrain de prédilection pour une anthropologie réflexive et constructiviste. Edward Bruner se forme à l’université de Chicago, l’une des plus prestigieuses pour l’anthropologie, marquée notamment par le passage d’A. Radcliffe-Brown, l’un des fondateurs de l’anthropologie britannique, qui y enseigne dans les années 1930. C’est à Chicago qu’advient un tournant majeur pour l’anthropologie américaine : sous l’influence de Robert Redfield, les anthropologues prennent acte de l’impossibilité d’accéder à des traditions « pures » puisque les membres des sociétés qu’ils étudient (principalement des Amérindiens), même pour les plus âgés, n’ont plus de souvenirs d’un temps précédant le contact avec les Occidentaux. Alors que s’écroule le mythe de l’isolat culturel, l’université de Chicago va adopter le paradigme de l’acculturation qui s’applique à observer les changements (mutuels ou unilatéraux) entraînés par le contact interculturel. C’est ce focus sur l’acculturation, érigé en programme de recherche, qui va structurer les enseignements reçus par Edward Bruner à Chicago. Lien
LEITE Naomi, GRABURN Nelson 2010. L’anthropologie pour étudier le tourisme. Mondes du Tourisme [En ligne], 1 | 2010, mis en ligne le 30 septembre 2015. Extraits : Les anthropologues abordent le tourisme en relation avec un vaste champ de centres d’intérêt anthropologiques, parmi lesquels l’ethnicité, l’identité, les politiques locales et globales, le développement, les inégalités sociales, les questions de genre, de culture matérielle et de globalisation, les diasporas, les expériences vécues, les discours et les représentations, la marchandisation et la réification des cultures. Les recherches anthropologiques sur le tourisme ne sont pas unies par une perspective théorique unique, bien que l’on puisse noter, ces dernières années, une orientation plus interprétativiste que politico-économique. (…). Lien